Propos recueillis à Damas par Renaud Girard
06/10/2008
Élu il y a quatre ans à la tête du bureau politique du Hamas, Khaled Mechal est un des hommes les plus secrets du Proche-Orient. Le parti palestinien qu'il dirige est en effet boycotté comme «terroriste» par Israël, les Etats-Unis et l'Union européenne, bien qu'il ait emporté haut la main les élections législatives, tenues en 2006, sous contrôle international, dans les territoires palestiniens. Il a reçu Le Figaro dans un quartier résidentiel de Damas.
Pensez-vous que l'arrivée d'un nouveau gouvernement israélien dirigé par Tzipi Livni représente une fenêtre d'opportunité pour la paix ?
Khaled MECHAL - Par expérience, les Palestiniens savent que le changement de leader en Israël apporte rarement une modification de la stratégie profonde du pays. Tant que l'élite politique israélienne n'acceptera pas quatre principes fondamentaux, aucune négociation sérieuse ne pourra commencer. Ces principes sont : 1)le retour aux frontières de 1967 ; 2)le respect du droit au retour des réfugiés ; 3)le respect des droits des Palestiniens sur Jérusalem Est ; 4)le démantèlement des colonies de peuplement.
Que pensez-vous des négociations actuelles entre l'Autorité palestinienne et le gouvernement israélien ?
Non seulement le Hamas, mais aussi toute la rue palestinienne condamnent ces rencontres. D'abord parce qu'elles se produisent alors qu'Israël poursuit l'extension des colonies, la construction du mur de séparation, le blocus de Gaza, la pratique des barrages routiers en Cisjordanie. Ensuite parce que les Palestiniens sont actuellement divisés : la partie palestinienne négocie donc en position de faiblesse. Rien de productif ne peut donc sortir de ces rencontres, qui ne servent qu'à améliorer les relations publiques d'Israël, sans obtenir de lui la moindre concession.
Quel prix le Hamas est-il prêt à demander pour se réconcilier avec le Fatah, après le coup d'Etat à Gaza que vous reproche Mahmoud Abbas, président de l'Autorité Palestinienne ?
Ce n'était pas un «coup d'Etat» : personne ne peut se rebeller contre soi-même ! C'est nous qui étions le gouvernement palestinien, car c'est nous qui avions gagné les élections, sous le contrôle des observateurs internationaux !
Pour contrôler Gaza, vous avez quand même fait usage de la force !
Nous nous sommes seulement défendus face à une agression d'une équipe palestinienne corrompue, rendue possible par l'afflux d'armes et d'argent israéliens, visant à détruire la légitimité du gouvernement d'unité nationale issu des élections de 2006. Nous ne posons aucune condition à une réconciliation palestinienne.
Pour réussir, elle devra être construite autour des modalités suivantes : 1) le respect du jeu démocratique en Palestine, c'est-à-dire le respect des résultats des élections passées et à venir ; 2) le respect de la Constitution palestinienne ; 3) le rétablissement de services de sécurité avec un recrutement uniquement fondé sur des critères de professionnalisme et de patriotisme, loin du factionnalisme, du népotisme et de la corruption ; 4) le strict respect des accords intra-palestiniens du Caire (2005) et de la Mecque (2007) ; 5) la prise en compte de l' «accord des prisonniers» (2006) ; 6) la volonté affichée d'édifier, par consensus, une nouvelle OLP (Organisation de libération de la Palestine) ; 7) le respect des quatre principes fondamentaux dont je vous ai parlé au début de cette interview.
Pourquoi une nouvelle OLP ?
Parce que la nation palestinienne a besoin d'un seul forum politique et qui soit en ordre. Il ne s'agit pas là d'avancer les intérêts partisans du Hamas. C'est une exigence de cohérence pour la défense de la cause palestinienne en général.
Où en sont vos négociations avec Israël, par l'entremise de l'Egypte, pour libérer le soldat de Tsahal Gilad Shalit, que vous détenez depuis juin 2006 ?
Elles sont au point mort, à cause du manque de fiabilité des négociateurs israéliens, qui reviennent sans cesse sur les points acquis.
L'initiative du roi saoudien Abdallah, entérinée à l'unanimité par la Ligue arabe, qui propose à Israël une reconnaissance par tous les Etats arabes en échange de son retrait sur les frontières de 1967, vous convient-elle ?
Hamas ne mettra jamais d'obstacle à n'importe quel effort arabe pour redonner aux Palestiniens leur droit. Je l'ai dit moi-même lors du Sommet de la Ligue arabe de 2007 auquel vous faites allusion. Mais je vous rappelle qu'Israël n'a pas répondu à cette offre et que les Américains n'ont pas daigné la reprendre au bond.
Est-ce à dire que vous pourriez envisager de reconnaître publiquement le droit à l'existence d'Israël ?
L'accord des prisonniers (négociée par le leader emblématique du Fatah emprisonné en Israël Marwan Barghouti avec ses codétenus du Hamas, NDLR) a répondu implicitement à cette question. Je prends la responsabilité de vous dire que le Hamas a endossé cet «accord des prisonniers».
Mais pourquoi ne franchissez-vous pas le pas ? Pourquoi ne faites-vous pas une déclaration de reconnaissance de l'Etat d'Israël en bonne et due forme ?
Les Palestiniens qui l'ont fait n'ont toujours pas obtenu d'Etat ; ils ne sont toujours pas indépendants ; ils vivent toujours sous un régime d'occupation et leurs terres continuent à être confisquées.
Le Hamas, pour sa part, a très clairement donné son accord pour la constitution d'un Etat palestinien libre et indépendant, le long des frontières de 1967, sur le territoire de Gaza et de la Cisjordanie. C'est le maximum, qu'en tant que victimes, nous pouvons dire. C'est à l'occupant de répondre d'abord à nos demandes légitimes, exprimées par les quatre principes fondamentaux dont je vous ai parlé.
Beaucoup d'Israéliens vous accusent de vouloir les jeter à la mer…
C'est faux. Nous n'avons aucun problème avec les Juifs, mais seulement avec les gens qui occupent notre terre et nous dénient nos droit, quelle que soit leur religion ou leur race. Historiquement, vous devez vous souvenir que le monde arabo-musulman a toujours accueilli les Juifs, leur a toujours permis de vivre en paix, et même de devenir ministres.
Attendez-vous quelque chose de la France ?
Il y a longtemps que nous attendons une initiative de l'Europe, et plus particulièrement de la France. C'est attente est d'autant plus grande que les Américains, par leur partialité en faveur d'Israël, se sont disqualifiés comme médiateurs. Il existe aujourd'hui un vide, qui appelle une initiative de la France.
Cela veut-il dire que la France devrait à vos yeux remplir le rôle d'honest broker (intermédiaire sincère) dans le conflit israélo-palestinien ?
Oui, si elle est continue à se maintenir à égale distance des parties au conflit, à demander l'arrêt des colonisations de peuplement israéliennes, à adhérer aux quatre principes fondamentaux dont j'ai parlé, à préconiser une solution politique fondée sur le retour aux frontières de 1967. Le rôle historique de la France dans le monde a toujours été d'être le minaret des droits de l'homme et de la démocratie. Avec l'énergie qui le caractérise, le président Sarkozy devrait pouvoir donner une impulsion vitale aux négociations de paix. Notre peuple souffre, nous sommes les premiers à vouloir cette paix.