Une nouvelle odeur flotte dans les rues de Gaza : celle de l'huile de friture. Certains automobilistes ont en effet trouvé le remède à la pénurie d'essence : ils mettent de l'huile de cuisine dans leur réservoir pour faire tourner leur moteur. Et ça marche ! Pour combien de temps ? La plupart des autres automobilistes ont converti leur véhicule au gaz butane. La bouteille est installée dans le coffre. Ça marche aussi moyennant quelques modifications du carburateur. Mais l'art de la débrouillardise a des limites et le gaz se fait de plus en plus rare. Quant au carburant ordinaire, il est pratiquement introuvable. Sauf au marché noir. Les prix ont grimpé au ciel. Cinq fois plus pour l'essence, quatre fois plus pour le gazole et trois fois pour le gaz.
--------------------Gaza est à sec. D'habitude, il faut être un conducteur habile pour se frayer un passage dans la cohue des embouteillages. Aujourd'hui, les rues sont presque vides et les taxis rares. On s'entasse à douze ou plus dans les grandes Mercedes jaunes. Les chevaux de la police ont refait leur apparition. Les ânes et les mulets sont redevenus les rois du macadam. La vie tourne au ralenti depuis que les Israéliens ont coupé les robinets. "C'est comme s'il y avait un couvre-feu. Certains secteurs sont devenus des zones fantômes", constate Khalil Abou Shamala, de l'association de défense des droits de l'homme Al-Dameer. Les stations-service sont fermées. Des voitures qui semblent collées au sol comme des ventouses se couvrent de poussière. Gaza est paralysée dans une torpeur étouffante.
Selon Kanan Ubaid, vice-ministre de l'énergie, l'essence s'est tarie depuis le début du mois d'avril, le fuel a été coupé depuis le 6 et l'approvisionnement en gaz s'est arrêté le 17. La centrale électrique, qui était à court de carburant, a reçu, mercredi 23 avril, 972 000 litres de fuel. De quoi tenir trois jours en ne tournant pas à plein régime. Il en faudrait 3,2 millions de litres par semaine pour que les turbines fonctionnent normalement. Alors Kanan Ubaid répartit les coupures de façon tournante dans les quartiers. Quant au carburant pour les voitures, il explique qu'il faudrait 70 000 litres d'essence et 360 000 litres de gazole par jour et que, avant la fin des livraisons, il n'en arrivait respectivement que 70 000 et 800 000 par semaine. Interrogé sur les accusations des autorités israéliennes selon lesquelles le Hamas organise la pénurie en prélevant sur les fournitures et en n'utilisant pas le stock existant, Kanan Ubaid répond que tout cela est faux. Il est vrai, dit-il, qu'il existe un réservoir presque plein, mais les distributeurs font grève, refusant de gérer la pénurie et d'arbitrer entre les demandes multiples. "C'est trop facile d'accuser alors que nous sommes de plus en plus rationnés. C'est une condamnation collective à une mort lente du peuple et de l'économie. Il s'agit d'un crime commis sous les yeux de la communauté internationale qui s'en fait la complice", proteste-t-il.
Les chiffres fournis par l'UNRWA (Agence des Nations unies pour l'aide aux réfugiés palestiniens) sont éloquents. De janvier 2007 à avril 2008, la fourniture de gazole est passée de 6,6 millions de litres à 1,3 million ; celle d'essence de 1,5 million à 134 000 litres ; celle de fuel industriel de 8,3 millions à 5,2 millions et celle de gaz de 5,2 millions à 2 millions de mètres cubes.
Faute de carburant, L'UNRWA a décidé, jeudi, d'arrêter ses distributions de nourriture. Avec les aides alimentaires fournies par le Programme alimentaire mondial (PAM), cela concerne près d'un million de personnes sur les 1,5 million d'habitants de la bande de Gaza. "Voilà trois semaines que l'on a averti les autorités israéliennes du désastre qui menace, et rien ne s'est passé. Nous n'aurions jamais dû en arriver là", s'insurge John Ging, directeur des opérations de l'UNRWA, avant d'ajouter : "C'est une insulte à la dignité des Palestiniens et un manquement aux droits de l'homme et à la législation internationale."
Les transports en commun ne fonctionnent plus. Les universités et de nombreuses écoles sont fermées. Les ambulances, les générateurs, les pompes à eau tournent au ralenti. "Quinze moteurs diesel pour les puits se sont arrêtés, privant d'eau 70 000 personnes. 15 à 20 % de la population n'a de l'eau que pendant trois à cinq heures par jour", annonce l'UNRWA. Les ordures ne sont plus ramassées. 60 000 m3 d'eaux usées sont rejetées chaque jour à la mer en étant peu ou pas traitées. Les réserves de carburant des hôpitaux sont en dessous du seuil critique.
"Les Israéliens disent qu'ils ont quitté la bande de Gaza, mais ils contrôlent tout et procèdent pratiquement tous les jours à des incursions. Depuis le début de l'année, 53 enfants de moins de 18 ans ont été tués et 117 autres blessés. Tout cela fait partie de la responsabilité d'Israël. Tout cela conduit à plus de radicalisme, plus de violence, plus de haine. La politique du blocus ne marche pas. Pourquoi continue-t-elle ?", se demande John Ging.
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Michel Bôle-Richard
Article paru dans l'édition du 26.04.08.
Le ministère palestinien de la Santé a accusé dimanche des membres du Hamas d'avoir ouvert le feu sur des camions-citerne qui devaient livrer des carburants aux hôpitaux de la bande de Gaza, soumise à un blocus israélien.
"Des membres du Hamas ont ouvert le feu dimanche dans la bande de Gaza contre des camions-citerne qui devaient livrer des carburants destinés aux hôpitaux de ce territoire", a indiqué un communiqué publié à Ramallah, en Cisjordanie, où se trouve le siège de l'Autorité palestinienne.
Le Hamas a pris le contrôle de la bande de Gaza en juin après avoir évincé par la force le Fatah du président palestinien Mahmoud Abbas qui assume depuis lors son pouvoir uniquement en Cisjordanie.
La population de la bande de Gaza fait les frais d'une "guerre du carburant" que se livrent le Hamas et Israël depuis trois semaines. Le Hamas accuse Israël d'imposer "un siège" pour lui "arracher des concessions" politiques, et l'Etat hébreu rétorque que les islamistes orchestrent une pénurie à des fins de "propagande".