Débat à l’espace Rachi – Compte-rendu (seconde partie)
19 mar 2007 par Samuel Sebban |
Intervention de Alain Finkielkraut
Avant toute chose, le philosophe a tenu à remercier M. Bourlanges d’avoir rétabli la vérité quant à sa position sur l’Irak, à savoir qu’il était contre.
Concernant la campagne, le penseur la décrit comme passionnante, notamment par le fait qu’un grand nombre de personnes sont indécises, même chez ceux qui votent de la même façon depuis toujours. Par conséquent, la campagne est également passionnante par les conversations qu’elle induit. Cependant, il constate une certaine stagnation dans la campagne, qui s’explique par le fait qu’il n’y a pas de confrontation directe entre les candidats.
Il impute notamment l’indécision générale à la gauche, qui pousse pour un système binaire dans lequel ils incarneraient l’égalité sociale en lutte contre le désordre du libéralisme mondial, et dans lequel F. Bayrou est présenté comme une illusion.
M. Finkielkraut a ensuite à son tour insisté sur la nécessité de ne pas parler de vote juif, qui ne doit pas exister. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il a grandement hésité avant d’accepter l’invitation de RCJ : l’émission donne la parole aux Juifs qui interrogent les politiques, et qui voteront en fonction des réponses apportées.
Ainsi, le philosophe amène sa thèse principale sur le plateau. Il constate une séparation de plus en plus nette entre nationalité et identité, où la nationalité se vide peu à peu de toute substance identitaire. Se pose d’ailleurs pour lui la question de l’institutionnalisation des dîners du CRIF et du CRAN, passages désormais obligés pour les politiques.
On entend souvent que la France s’enrichit par la diversité, mais cet adage soulève un problème : pourquoi les identités ne s’enrichiraient pas de la France ? A titre d’illustration, il cite l’humoriste Jamel Debbouze, dans une interview intitulée « Pourquoi j’aime la France » parue au Nouvel Observateur du 28/09/2006 : « Nous sommes des ‘Icissiens’ », affirme l’humoriste. Cette phrase est intéressante, car elle définit un Français comme étant finalement un habitant de la France. A ce titre, l’apport identitaire de chacun enrichit la France, mais effectivement, la question de la réciprocité se pose, et on peut se demander, d’ailleurs, en quoi l’apport identitaire de chacun enrichit effectivement la France. En fait, la France devrait se montrer reconnaissante de l’apport culturel de chacun. Mais quid de la gratitude de chacun envers la France ?
Pour conclure, A. Finkelkraut pose trois questions aux invités politiques :
1) Comment remettre la Nation au coeur de la réflexion politique ?
2) Pourquoi, dès lors que l’on parle d’identité national, on directement renvoyé à la France pétainiste ?
3) Comment stopper ce découplage identité/nationalité ?
Intervention de Benjamin Stora
M. Stora trouve cette campagne passionnante, mais tendue. Cependant, il regrette le fait que la politique internationale soit absente du débat. Il est repris par un Pierre Lellouche, excédé par cette allégation déjà énoncée à plusieurs reprises durant la soirée, affirmant que le candidat qu’il défend a organisé différentes conférences de presses, ainsi que plusieurs journées à thèmes (dont une sur la défense). M. Stora se corrige alors en concédant que M. Sarkozy était le seul à avoir soulevé le problème du choix entre le gaz et le nucléaire, en rapport avec ce qui se passe avec l’Algérie.
La question du nucléaire est d’ailleurs prépondérante pour ce professeur des universités : le débat gaz ou nucléaire n’a pas eu lieu.
Le deuxième aspect est celui du rapport aux nouvelles puissances émergentes. En effet, avec le phénomène d’hyperterrorisme post 11 septembre 2001, on assiste à un affaiblissement des Etats-Unis. En parallèle, on observe une montée en puissance de la Chine, de l’Inde, mais aussi de la Russie, malgré les difficultés à instaurer un régime réellement démocratique. Par ailleurs, l’Europe a du mal à se fabriquer une identité politique. A tel point, un rapport israélien se demande qui protégera Israël contre l’Iran, en cas de défaillance de l’allié historique américain. En effet, on observe une montée en puissance de l’Islamisme politique dans les années 90′s, qui trouve son nid dans la guerre civile intérieure qui a fait 150 000 morts.
A son tour, il pose trois questions aux hommes politiques :
1) Sur la politique au Moyen-Orient : La montée du chiisme au dépend du sunnisme provoque un choc, qui rappelle la lutte ancestrale entre Perses et Arabes. Quel parti prendre ? Celui des minorités démocrates ?
2) Sur le conflit israélo-palestinien : Doit on continuer à adopter la position du Quartet après la formation du nouveau gouvernement d’unité national palestinien, ou doit-on envisager une position autre, en entretenant des relations avec le seul Mahmoud Abbas ?
3) Gaz ou nucléaire ?
A cette liste de questions épineuses, les animateurs ont également fait une synthèse des thèmes à évoquer en fonction des questions soulevées par le public :
- Réaction aux propos de R. Barre
- Montée de l’antisémitisme
- Position de J. Solana sur le plateau du Golan
P. Lellouche
- Un ministère de l’immigration et de l’identité nationale ?
M. Lellouche a évoqué le cas des propos de M. Barre en déclarant que ces propos ne méritaient aucun commentaire, et étaient intrinsèquement éloquents.
Sur le problème de l’opposition nationalité/identité, le responsable de l’UMP s’accorde avec A. Finkielkraut, sans pour autant s’exprimer sur la façon de résoudre le problème. Cependant, il semble indiquer que le ministère de l’immigration et de l’identité nationale va dans ce sens. Il a notamment dénoncé les exactions commises par certaines communautés, évoquant l’excision ou les mariages forcés à travers un exemple très précis, détaillé dans le Parisien.
En ce qui concerne la position à adopter sur le conflit entre chiites et sunnites, M. Lellouche a refusé de répondre, ne se sentant pas en mesure d’apporter des réponses au vu de ses fonctions et de sa position.
Sur le nucléaire civil, et malgré les protestations du public, il a rappelé que le traité de non-prolifération autorise le nucléaire civil, mais sous réserve de surveillance très claire de lAIEA, justement dans un objectif de non-dégénération. Actuellement, d’ailleurs, l’Iran dispose d’ores et déjà de centrales nucléaires, construites par l’Allemagne et par la Russie. La question qui se pose, et donc la réelle menace, est celle du nucléaire militaire, dans la mesure où l’Iran refuse de se soumettre aux contrôles de la communauté internationale, tout en étant particulièrement agressifs et menaçants à l’égard des Etats-Unis, et plus particulièrement d’Israël.
D. Assouline
Bien entendu, M. Assouline rejette en bloc la conception d’un ministère de l’immigration et de l’identité nationale. Il a parlé de « caricature » pour qualifier l’exemple de cette femme noire évoqué précédemment par M. Lellouche. Pour lui, l’idée n’est pas de savoir qui vient, mais d’accepter tout le monde vers un projet commun. Il tient d’ailleurs à rappeler que l’on (ce « on » désignant la population juive d’Afrique du Nord) était bien content d’être accueillis dans les années 1930. Cette prise de position a suscité de vives réactions dans le public.
Cependant, le responsable du PS a définitivement envenimé le débat lorsqu’il s’est exprimé sur le fait que manifestement les Juifs étaient plus portés vers le vote Sarkozy. En effet, il constate que l’antisémitisme n’a jamais été aussi fort en France, avant de demander cyniquement à la foule qui était ministre de l’intérieur ces dernières années, insinuant à mots à peine couverts que M. Sarkozy était responsable, notamment de la mort d’Ilan Halimi. Le public a réagi de façon très négative à ces propos et M. Lellouche a quitté la scène. Il est revenu peu après mais a refusé tout échange même informel avec son homologue du PS.
J.-L. Bourlanges
La parole a ensuite était donné dans une atmosphère confuse au responsable de l’UDF qui est parvenu à ramener le calme dans la salle. M. Bourlanges n’est pas choqué lorsque l’on parle d’ »identité nationale ». Cependant, il n’est pas dupe quant à l’objectif recherché par N. Sarkozy lorsqu’il évoque son fameux ministère. C’est pour lui clairement une manoeuvre électorale en vue de prendre des voix au Front National. Il ajoute d’ailleurs qu’il aurait préféré la formulation de Simone Veil qui critique M. Sarkozy (qu’elle soutient malgré tout) et propose un « ministère de l’immigration et de l’intégration ».
Dans le conflit qui oppose Sunnites et Chiites, il explique qu’il n’est intéressant pour personne, et apporte une logique perdant/perdant pour tous : Eux, Israël, mais également nous-mêmes. Il réitère ses voeux pour que la France et l’Europe se posent en apaiseurs dans la région.
Sur la discussion au sujet du gaz et du nucléaire, il estime que la nucléarisation au Proche-Orient est dangereuse. On peut certes entendre que le pétrole s’épuise, et se montrer ouverts à des possibilités de nucléaire civil, mais il ne faut pas être dupes. Il estime que l’intérêt pour l’ensemble du monde est de mettre en place une politique contrôlée d’accès au nucléaire civil au niveau international.
Enfin, M. Bourlanges, manifestement agacé par le comportement du représentant du PS, a tenu à mettre en exergue la profonde crise identitaire que connaît la gauche, notamment dans son positionnement par rapport à la gauche antilibérale. Il préconise une remise en question en profondeur et un réel débat d’idées pour reconstruite un PS fort dont la France a besoin, explique-t-il.
Conclusion : Alain Finkielkraut
La soirée s’est terminé par quelques mots du philosophe, dans un climat de frustration, puisque le public n’a pas pu poser directement ses questions aux politiques. Une personne très persévérante a pu obtenir la parole pour obtenir une réponse à une question non abordée, la position de Javier Solana. Pierre Lellouche a répondu de façon concise, en expliquant que c’était le point de vue de Solana, point. Réponse qui n’a pas paru enchanter la personne qui avait posé la question.
Premièrement, M. Finkielkraut a parlé de coresponsabilité dans l’échec des différentes politiques. Il affirme qu’il faut cesser de croire à l’idée qu’il y a, d’une part, un gouvernement qui gouverne, et d’autre part, des revendications. Le peuple se pose en créancier, et dans ce cas, rien ne peut fonctionner.
Dans un second temps, M. Finkielkraut a évoqué l’héritage de la civilisation française. Il ne s’agit pas là d’un héritage biologique, mais culturel, et donc, par définition non immuable, d’où l’importance de l’Ecole, qui doit transmettre cet héritage. On peut d’ailleurs se demander si elle parvient toujours à remplir cette mission, mais c’est un autre débat.
Pour lui, étant donné la qualité de nos prédécesseurs, nous ne pouvons pas nous permettre d’être fiers d’être Français, mais au contraire, nous devons nous montrer humbles d’être Français. Il cite Raymond Aron, parlant du Judaïsme qu’il a abandonné : « Si par extraordinaire je devais apparaître devant mon grand-père, qui vivait à Rambervilliers encore fidèle à la tradition, je voudrais devant lui ne pas avoir honte. »
M. Finkielkraut laisse entendre que cette phrase s’appliquerait parfaitement à l’ensemble de la société française.