Athéisme ou laïcité ?
2 jan 2014 par Samuel Sebban |
La laïcité est sans conteste l’un des principes fondamentaux de la société française. Cependant, il semble qu’aujourd’hui son sens soit de plus en plus galvaudé, au profit d’une idée plus globuleuse qui prône à la fois un intégrisme forcené contre tout ce qui touche de près ou de loin à la religion, et en même temps une accointance parfois malsaine entre le monde politique et le religieux.
Laïcité et déni de religion
L’intolérance à l’égard du fait religieux ne cesse de grandir. L’actualité se cristallise autour de l’Islam, ce qui se traduit notamment dans la montée des extrêmes en général, et du front national en particulier. Il est de bon ton d’être « contre » les religions, et honni soit celui qui ose évoquer le religieux dans l’espace public. Selon moi, la laïcité, ce n’est pas le refus de la religion mais l’idée qu’elle fait partie du domaine privé de chaque individu. Ce n’est pas pour autant que la République doit mettre des bâtons dans les roues à la pratique religieuse, puisqu‘elle garantit la liberté de culte au travers d’un ministère du même nom.
La question de la viande dans les cantines aura été l’un des débats de société les plus enflammés de 2013, hors mariage gay évidemment – ceci dit, les ressorts de la stigmatisation gay et religieuse sont assez similaires. J’ai entendu ici et là des commentateurs expliquer que le Halal dans les cantines, c’était indigne. Le mot est un peu fort, mais il n’est sans doute pas question d’imposer à un enfant non soumis à régime particulier des contraintes alimentaires dictées par une religion. Certes. Résumer le problème à « il suffit de proposer un menu sans porc » n’est qu’une preuve accablante de l’ignorance totale de la majeure partie de la population sur les religions, à part quelques principes chrétiens historiques. Si on prend l’exemple du judaïsme, que je connais bien, le porc n’est qu’un aliment interdit parmi d’autres. Il ne sera pas davantage possible pour un enfant juif pratiquant de consommer du lapin ou des crevettes que des lardons.
Et alors, me dira-t-on, l’enfant juif n’a qu’à se débrouiller. Si ça ne convient pas aux parents, il n’a qu’à aller en école juive, ce sale communautariste. Ah, le beau paradoxe ! On te garantit la liberté de culte, mais fais nous confiance pour rendre ta foi incompatible avec le fonctionnement de la société. Ou comment au nom de la laïcité, on exclut et on favorise le communautarisme. Tout de même : entre les allergies alimentaires, les régimes végétariens ou végétaliens ou les règles religieuses, l’école publique doit pouvoir trouver un moyen de proposer chaque jour du poisson ou des œufs pour les enfants qui ne souhaiteraient pas manger de viande, quelle qu’en soit la raison. Ce qui doit rester dans l’espace privé, c’est le motif. La laïcité ne peut coexister avec la foi que si elle met en oeuvre des possibilités de conjuguer culte et vie publique, sans pour autant rogner sur ses valeurs fondamentales. Les cantines et les restaurants proposent bien du poisson le vendredi – en toute laïcité, bien entendu – pourquoi ne pourrait-elle pas le faire les autres jours ? Aussi, plutôt que de provoquer des esclandres qui scindent, chacun pourrait trouver sa place.
De la même façon, les dates d’examen font polémique régulièrement. Qu’est-ce que ça coûte d’assembler dans un calendrier les dates de jours de fêtes pour les principales religions en France et d’en tenir compte ? Est-ce si important si le baccalauréat commence jeudi et pas mercredi ? On pourrait résoudre le problème avec un peu d’intelligence, sans que personne n’en parle. Au lieu de ça, les autorités s’arc-boutent sur un intégrisme athéiste et on pourrait même se demander s’ils ne place pas volontairement les épreuves pendant les jours de fêtes de certains. Il ne viendrait à l’idée de personne de placer des examens le jeudi de l’Ascension ou le lundi de Pentecôte, alors pourquoi ne ferait-on pas le même traitement pour les autres ?
Si l’on veut être rigoureux avec la laïcité, il faudrait supprimer les jours fériés religieux, Noël inclus. Je vois déjà l’intégriste athéiste avec ses gros sabots : « mais Noël c’est pas religieux, c’est commercial ». Pourquoi, alors, au marché de Noël, entends-je des chants athées comme « Il est né le divin enfant » ou »Douce nuit » ? Pourquoi la publicité de Canalsat raconte comment les Rois Mages ont pu regarder tout un tas de programmes fabuleux ? Je souhaite travailler le lundi de Pâques, pourquoi n’est-ce pas possible ? Je caricature. Mais si je suis capable, au nom de l’histoire de France, d’accepter ces entorses à la laïcité dans l’espace public, j’exige de la société qu’elle permette à des fois différentes de s’exprimer, en jouant son rôle de facilitatrice lorsque cela est compatible avec les valeurs de la République. C’est le sens de la circulaire autorisant les enseignants à s’absenter durant les principales fêtes religieuses de l’année, qui, en faisant un peu de place au fait religieux, diminue le risque de repli communautaire.
Le fléau de l’ignorance
La France d’aujourd’hui est passée maîtresse dans l’art de l’ignorance, de l’Histoire en général, surtout de la sienne. Le traitement de l’information est en grande partie responsable du phénomène. En ce 1er janvier 2014, j’écoutais un podcast de l’émission Les Grandes Gueules, sur RMC, qui rediffusait une interview d’Abd al Malik. Dans la discussion, l’animateur a interpellé l’artiste sur l’impression d’omniprésence de l’Islam dans les médias. J’aime beaucoup cette émission, j’ai donc de la peine à illustrer mon propos avec cet exemple, mais finalement c’est l’incarnation du problème. Je n’ai jamais entendu parle de l’Islam aux infos, je n’entends parler que de comportements musulmans, et encore, d’une certaine frange probablement minoritaire de cette communauté religieuse. J’ai entendu des débats sur l’interdiction du voile, la viande halal dans les cantines, les ouvertures des piscines réservées aux femmes, des moutons dans la baignoire, d’Al Qaeda évidemment, etc… Les musulmans que je fréquente ne semblent pas s’inscrire dans cette caricature de l’Islam. A écouter mes amis, je pourrais même croire en un Islam républicain, n’en déplaise aux médias ! Abd al Malik en est d’ailleurs le parfait symbole, en tout cas dans son discours public.
J’en reviens à l’un de mes chevaux de bataille favoris sur ce blog depuis sa création, à savoir la faiblesse de l’information en France. La presse, la radio, la télévision ne vivent que par le buzz et le scandale, qui forgent ce que j’appellerais la « position dominante ». Le succès grandissant de sites comme Mediapart ou Rue 89 ne sont qu’une énième illustration du phénomène. On se fiche bien de savoir ce qu’est l’A?d al-Kab?r et ses origines. Par contre, on peut compter sur les « journalistes » pour faire naître toutes les polémiques possibles sur ces « sauvages » qui égorgent les moutons. Mon exemple favori reste le traitement du conflit israélo-arabe ; je vous renvoie aux anciens articles de ce blog, qui démontrent comment le traitement médiatique manipule et forge l’opinion. Je ferai juste une parenthèse sur le diplôme remis par l’ambassadeur des Philippines à l’armée israélienne pour son aide suite à la catastrophe récente, qui n’a trouvé aucun écho dans la presse française. Par contre, je suis serein : au prochain soldat stupide qui se prendra en photo dans une situation compromettante, la polémique retentira sous un flot d’indignation. (#StephaneHessel, que je ne vais pas regretter)
Je m’acharne sur les médias, mais ils ne sont pas les seuls responsables. L’Ecole s’est perdue, et favorise l’ignorance. Au nom de la laïcité, on n’enseigne plus les religions. J’ai épluché les programmes scolaires sur le site de l’éducation nationale, on ne fait mention des religions qu’au collège, dans la rubrique « histoire de l’art ». L’ignorance est pourtant bien le pilier de la xénophobie et du rejet de l’autre. Si je ne comprends pas l’autre, comment puis-je accepter ses différences ? On doit pourtant bien être capable de traiter l’histoire des religions sans sombrer dans le prosélytisme, non ? Il suffit d’expliquer aux enfants les origines, les textes fondateurs, et les principales fêtes de chaque grande religion. J’espère sincèrement que les professeurs continuent à dispenser cet enseignement, que j’ai eu la chance d’avoir étant enfant.
Le mélange des genres
J’aimerais finir sur le mélange des genres. Alors que la séparation de l’Eglise et de l’Etat date de 1905, elle est par trop souvent bafouée de nos jours. Le premier exemple structurel est le cas de l’Alsace-Moselle, le fameux concordat. Pour des raisons historiques, les évêques, les prêtres, les rabbins et les pasteurs y sont toujours assimilés à des fonctionnaires et l’entretien des bâtiments est financé par l’État. On notera l’absence du culte musulman, bien que la Mosquée Eyup Sultan de Strasbourg ait pu bénéficier de fonds publics pour sa construction. L’enseignement religieux à l’école publique y est également autorisé. Cette collusion absurde et totalement anachronique entre l’Etat et la religion me parait être une atteinte bien plus grande au principe de laïcité.
Sur le même registre, la présence de tous les dignitaires politiques au fameux dîner annuel du CRIF me semble hors-sujet dans le cadre de la loi de 1905. Je n’aime pas davantage la présence de représentants (ministres ou autres) lors des offices de fêtes religieuses. Enfin, et c’est beaucoup plus grave, j’ai été choqué de recevoir à mon domicile des vœux pour la nouvelle année juive signés du maire et du député de ma circonscription. Il s’agit ni plus ni moins que d’une violation de ma vie privée. Je suis officiellement fiché comme juif par les services de l’Etat, alors que je n’ai jamais autorisé une quelconque communication sur le sujet… Ça fait un peu froid dans le dos, même si ça part d’un bon sentiment électoraliste et populiste. Ils sont également présents et prennent la parole durant l’office de Yom Kippour. Tu parles d’une séparation ! Et aux frais du contribuable, évidemment…
Je ne vais pas m’étendre parce que j’ai déjà fait assez long. La question de la laïcité est complexe et mériterait un grand débat de société pour redéfinir ce que l’on met derrière ce principe fondamental. Je crois que le plus important est de rendre le principe de laïcité compatible avec la pratique du culte, à la condition que celle-ci se fasse dans le respect des principes républicains. A ce titre, l’interdiction des signes ostentatoires me parait aller de soi, puisqu’elle implique un basculement de la sphère privée dans l’espace public. D’un autre côté, l’empathie et la compréhension de l’autre sont les meilleurs armes contre la haine, l’intolérance et le repli communautaire. Garantir la liberté de culte et en faciliter la pratique républicaine, c’est encourager le « vivre ensemble ».