De la nécessité du CRIF – l’accusation infondée de communitarisme
13 juin 2007 par Samuel Sebban |
Je me suis récemment inscrit sur le site AgoraVox, qui est une sorte de tribune libre pour toute personne désireuse de donner un point de vue sur un sujet de société. L’initiative est intéressante, et suscite des débats passionnés auxquels j’avais en fait envie de participer.
Je suis notamment tombé sur un article qui soulève l’idée de créer un CRIF catholique, après le CRIF (Conseil Représentatif des Institutions Juives de France), le CRAN (Conseil Représentatif des Associations Noires) ou encore le CFCM (Conseil Français du Culte Musulman). Je vais davantage parler de l’aspect juif dès lors que c’est celui que je connais le mieux. Je vais en profiter également pour défendre cette institutions contre les attaques de plus en plus nombreuses, d’antisémites refoulés qui se réfugient derrière leur haine de son institution représentative : le fameux CRIF.
1) Histoire du CRIF
Comme mon propos peut paraître obscur, je vais faire un bref rappel sur le fonctionnement des institutions juives. Le Consistoire est créé en 1808 par Napoléon qui vise à doter la communauté juive d’un interlocuteur, un peu comme, deux siècles plus tard, le Conseil consultatif des musulmans de France créé par Sarkozy. Le Consistoire est propriétaire des synagogues et l’employeur des rabbins qui y officient. Les vagues migratoires successives, notamment d’Europe de l’est – dont nombre de militants juifs athés, communistes et socialistes – et l’arrivée de nouvelles communautés religieuses plus orthodoxes modifient le panorama. Le Consistoire est de moins en moins représentatif quand la terreur nazie envahit l’Europe. En 1943, dans la clandestinité, se monte le Conseil représentatif des israélites de France, futur CRIF. Différentes organisations, religieuses ou laïques, de la communauté, dont le Consistoire, y adhèrent. Aujourd’hui, le Crif est perçu comme le principal interlocuteur de l’État.
Aujourd’hui, dans la pratique, le Consistoire s’occupe des affaires de culte, et le CRIF des affaires « publiques », voir politiques, dès lors que cela impacte la vie des Juifs de France. Je passerai sur les querelles intestines internes qui font qu’aujourd’hui, le Consistoire ne fait plus partie du CRIF.
2) Un Juif ? C’est quoi ?
Si le CRIF a aujourd’hui tant de mal à ne pas être perçu comme un organe destiné à servir le communitarisme ou le lobbying, c’est parce que derrière est soulevée une question autrement plus complexe : pourquoi donc les Juifs ont-ils besoin de se démarquer de la société française par des institutions, alors que ce sont des Français comme les autres ? D’ailleurs, ce ne sont pas des Juifs Français, mais des Français de religion juive, comme les Catholiques ou les Musulmans. Telle est la vérité perçue par beaucoup de gens manifestement assez mal informés. Ces personnes sont assez généralement ceux qui attaquent le plus violemment l’Etat d’Israël, je vous suggère à ce propos de relire mon échange avec le collectif Palestine de Haute-Normandie.
On aborde en fait ici une question de fond : qu’est-ce qu’être Juif ? Je n’ai pas la prétention de donner une définition, mais je vais essayer d’énoncer un certain nombre d’éléments destinés à faire entrevoir la complexité de la situation.
Comme presque tout le monde en a conscience, les Juifs sont les descendants des Hébreux. « Juif » en Hébreu se dit « Yéhoudi », ce qui signifie « habitant de la Judée ». En gros, les Juifs, ce sont éthymologiquement les Judéens. De fait, ce qui différencie le judaïsme par rapport au catholicisme et à l’islam, c’est que les Juifs sont en fait les membres d’un même peuple, qui a su, malgré l’éclatement de la population appelé « diaspora », conserver une forme d’unité à travers un culte religieux. De ceci découle que le judaïsme n’a aucune velléité de prosélytisme, et pour cause : c’est comme si on essayait de convertir les gens pour qu’ils deviennent Français ou Allemands, ça n’a aucun sens. Du même coup, c’est un non sens de dire que les Juifs de France sont des Français de confession juive. Certains Juifs se présentent comme tels, et le vivent comme tel, mais c’est en réalité, comme je l’explique ici, un non sens historique. Ces personnes sont Français, certes… et Juifs. C’est un petit peu comme une double nationalité. Attention, il ne s’agit pas de confondre ‘Juif’ et ‘Israélien’, c’est un autre sujet. La création de l’Etat d’Israël a de fait complexifié le statut des Juifs de la diaspora, qui sont naturellement attachés à l’Etat d’Israël en tant qu’ « Etat juif » (ceci explique le soutien naturel d’une association censée représenter la communauté juive, à savoir le CRIF). Il faut bien comprendre que la renaissance de l’Etat d’Israël est encore récente, et qu’après 2000 ans de vie aux quatre coins du monde, il est bien naturel que les Juifs se sentent chez eux là où ils ont élu demeure, d’autant qu’ils n’ont pour la plupart jamais vécu ailleurs… Mais dîtes-moi, un Français né hors de France et de parents français, il est Français non ? Alors pourquoi un enfant de Juifs ne serait pas Juif ? Qu’est-ce qui choque à ce point dans le fait d’être Juif et Français ? Doit-on forcément choisir entre sa patrie de naissance et sa patrie ancestrale ?
L’objectif de ce petit topo est de susciter un début de compréhension sur les Juifs, qui sont un cas unique dans l’histoire, ce qui crée d’ailleurs un certain nombre de malentendus, et ce qui explique en grande partie les cas d’antisémitisme de par le monde et au cours des siècles.
3) La nécessité d’un interlocuteur
Finalement, résumons-nous, dans la pratique, le judaïsme ne va se manifester en France essentiellement par la pratique religieuse. Cependant, malgré la bonne volonté des personnes qui considèrent que les Juifs sont des Français comme les autres, il s’avère que des paroles douteuses ou des actes antisémites sont assez fréquentes en France (371 actes répertoriés en 2006 d’après un rapport du Service de Protection de la Communauté Juive). Et ailleurs, bien entendu, mais je parle de ce que je connais à peu près.
La communauté juive est aujourd’hui confrontée à plusieurs problèmes, que je vais détailler ensuite
- La banalisation des actes antisémites
- Le négationisme de plus en plus fréquent de la catastrophe de la Shoa
Les actes antisémites, encore relativement nombreux, ont connu leur apogée en février 2006 avec le meutre sauvage d’Ilan Halimi. A l’époque de l’attentat de la synagogue Copernic, dans les années 1980, un mouvement spontané de Français de toute origine avait protesté dans les rues contre un tel procédé, qui pouvait se dérouler en France. Comme s’il était intolérable qu’on s’en prenne aux Juifs, parce que juifs, dans un Etat comme la France. Et c’est bien normal. Sauf qu’aujourd’hui, un acte antisémite, ou anti musulman, ou anti noir, est un fait divers. Quand Le Pen parle de détail de l’histoire pour l’Holocauste, ou quand Dieudonné fait renaître de ses cendres le complot juif, ça ne choque plus, ça indiffère. Alors les gens nous disent qu’ils ne sont pas d’accord, mais bon, c’est marginal, tu comprends.
Quand Halimi est mort, je n’ai vu que des Juifs à la manifestation. J’aurais voulu voir le tout Paris se lever et dire non. Ou quand cette femme musulmane a été assassinée cruellement par son frère qui y a mis le feu. La France que j’aime, ce n’est pas ça. J’entends partout en France hurler « Sarko facho », mais ils étaient où ces gens à ces moments là ? Ils savent ce que ça veut dire, être facho, et à refuser le droit d’exister à certaines catégories ? Comment reprocher aux plus fragiles d’entre nous d’avoir peur car ils ne peuvent plus compter que sur eux-mêmes pour se défendre, dès lors que l’opinion publique s’en fiche éperdument et banalise une situation intolérable ?
Dans ce contexte, le CRIF (et les autres) est plus que jamais nécessaire. On peut rejeter le fait que les politiques aillent au dîner du CRIF en campagne, on peut critiquer certains aspects « politiques » du CRIF. Mais en faire un outil communitariste, parce que c’est le seul organe qui défend réellement les Juifs contre l’antisémitisme, parce qu’il se bat pour que la mémoire de la Shoah continue à se perpétuer, pour que « Plus jamais ça ». Parce qu’il est solidaire d’Israël, qui est sans doute le point qui dérange le plus les « anti-CRIF ». Mais comment reprocher au Conseil Représentatif des Institutions JUIVES de France de défendre l’Etat JUIF ? Il y a bien des associations de soutien au Darfour ou à d’autres pays… Quel est le problème ? Si on est solidaire d’Israël, on est contre la France ? Le fait de soutenir l’Etat d’Israël, c’est être communitariste ? Quel est le rapport ?
Si encore les Juifs vivaient effectivement renfermés sur eux mêmes, profitant de l’asile d’un pays comme des réfugiés, crachant sur ses valeurs et ses institutions… Mais non, la plupart des Juifs sont des modèles d’intégration, en France et ailleurs. D’ailleurs, c’est même un commandement de la loi juive, la Thora, qui impose aux Juifs de respecter la loi du pays où ils résident, le cas échéant au détriment de la loi juive.
Alors soyons polémiques. On ne peut plus reprocher aux Juifs d’avoir un gros nez, de tuer des enfants, alors on trouve autre chose. On garde le fil rouge du « complot juif » qui veut contrôler le monde (avec 12 millions de représentants en tout et pour tout, c’est dire le risque…), on accuse de communitarisme, de fermeture, de lobbying (Raymond Barre, si vous me regardez…). Non, mes amis, l’antisémitisme n’est pas mort. Et je crois que comme pour toutes les formes de racisme et d’intolérance, il faut les combattre, en particulier pour ceux qui se disent antisionistes, ou anti-CRIF, ou anti « minorités ». Nous avons tous des origines, et nous devons les revendiquer. Ca n’empêche pas de respecter la France, d’aimer la France, d’être Français, jusqu’au bout des ongles, car la France, elle nous a tout donné. (ça rappelle quelque chose à quelqu’un ? )