Le journalisme français est-il en train de mourir ?
11 fév 2008 par Samuel Sebban |
Les gens qui suivent l’actualité politique de pas trop loin auront compris qu’on va parler SMS… Pour ceux qui n’auraient pas suivi, le journal Le Nouvel Observateur a récemment publié le contenu d’un SMS que Nicolas Sarkozy aurait envoyé à son ex-épouse Cécilia Sarkozy une semaine avant son mariage avec Carla Bruni. Ce contenu serait, toujours selon le journal : « Si tu reviens, j’annule tout ». Aujourd’hui, le journal est trainé au pénal par le président, ce qui constitue une première en France.
Voilà en quelques mots le résumé de la polémique qui enfle dans nos médias. Je ne vais pas alimenter cette polémique en me demandant si le journal devait publier le SMS et si le président a eu raison de trainer le journal au pénal. Mais cet épisode m’interpelle car il dénote, comme beaucoup de journalistes le disent, un tournant important dans le paysage médiatique français. Concernant cet épisode, on peut en effet s’interroger : est-ce que, réellement, la publication de ce SMS relève d’un devoir d’information ? Formulée autrement, la question serait : un groupe d’individus peut-il revendiquer un droit de regard sur tous les aspects de la vie d’une personne à partir du moment où elle l’a élu à la présidence ?
Personnellement, je suis atterré par la publication de ce SMS. Ce n’est pas du journalisme, au mieux est-ce digne de la presse people, qui me répugne. Mais quel est l’objectif de cette publication ? En quoi cela correspond-il à la fonction de journaliste, qui consiste à faire l’intermédiaire entre l’Etat et le peuple ? Cette information n’a aucun rapport avec l’action politique du président, tout comme sa visite à Eurodisney et son mariage avec Carla Bruni. A l’heure où la situation au Proche-Orient est catastrophique, à l’heure où le traité de Lisbonne est ratifié, à l’heure des élections américaines ou du climat d’extrême tension au Tchad, les éditos et les unes des journaux français tournent autour des histoires de fesse de notre président.
Tout le monde condamne la publication de ce SMS. Mais personne ne se gêne pour surfer sur la vague de la polémique : on veut du scoop, du scandale, c’est ça qui fait vendre. On critique l’Amérique de Clinton et Lewinsky, et voilà que les médias français, tels des vautours, espèrent faire du chiffre avec un texto…
Alors à qui la faute ? A Nicolas Sarkozy, qui a étalé sa vie privée et tente aujourd’hui tant bien que mal de faire cesser ce buzz autour de sa vie privée qu’il a lui-même provoqué ? Des médias qui relaient tout et n’importe quoi pour vendre à tout prix ? Ma réponse est claire : la faute en revient aux médias. Jusqu’à preuve du contraire, la liberté de la presse existe en France, et même quand Sarkozy était en campagne, personne n’obligeait la presse à le suivre à la trace. Oui il prévient les journalistes, oui il espère détourner l’attention sur lui, notre président, mais il n’a pas mis un policier derrière chaque journaliste pour le contraindre a faire de la sarkoinformation. Les responsables de rédactions cherchent à faire du chiffre, et tant qu’un Sarko en couverture fera vendre, tout le monde peut bien crever, Sarko sera en couverture du Point, de l’Express, du Nouvel Obs’. Ce n’est pas parce que les rédactions reçoivent l’information selon laquelle Nicolas va à Eurodisney qu’ils sont forcés d’envoyer des dizaines de journalistes. Personne n’oblige le journalisme français à faire le jeu du président. C’est un choix, alors avant de parler d’omniprésence, demandons-nous qui rend le président omniprésent.
J’en ai assez de ce climat d’impunité totale qui règne autour des journalistes. Au nom de la liberté de la presse, on peut tout dire. A l’heure où l’affaire Al-Dura, réputée pour avoir déclenchée la seconde Intifada au Proche-Orient, semble être finalement un coup monté par un journaliste de France 2 dupé par un caméraman palestinien, on peut peut-être commencer à s’interroger sur le pouvoir immense des images dans notre société, et sur les catastrophes que cela peut provoquer. La liberté de la presse doit être utilisée à bon escient. Pas pour alimenter des clichés meurtriers, comme pour l’affaire Al-Dura, et encore moins pour trainer des personnes dans la boue sur leurs affaires privées, quelles que soient leurs fonctions. Le respect de l’individ, cela existe également, tout autant que la liberté de la presse.
Pour ceux qui estimeraient que dès lors que Nicolas Sarkozy a été élu, c’est normal qu’on sache tout, je répondrais que non, ce n’est pas normal. Nicolas Sarkozy n’est pas un surhomme ou un dieu, ce n’est pas un personnage qui nous appartient. C’est celui qu’une majorité d’entre nous a choisi pour nous représenter et pour guider notre pays. Mais il reste un homme, qui comme tout le monde a droit au respect. Le journaliste a le droit d’estimer que depuis que Sarkozy est au pouvoir, la France décline, si c’est son opinion. Mais aller épier ses moindres faits et gestes pour savoir si oui ou non lui et Carla font le kamasutra intégral, ça s’appelle du voyeurisme, et aucun d’entre nous ne le tolèrerait.
Nous autres lecteurs avons également notre part de responsabilité, et notre mot à dire : pour que cela cesse, arrêtons de cautionner ces informations, d’acheter des journaux qui se fichent de nous en nous faisant croire que les saloperies qu’ils placent en une sont de l’information. Nos journalistes sont brillants et on les exploite pour faire du journalisme de bistrot. Quel gâchis… Pendant ce temps là, pour trouver une information de qualité qui analyse, qui observe, qui retrace, ça devient un parcours du combattant. Pourquoi faire compliqué quand on peut faire n’importe quoi…