Une histoire de quenelle
31 déc 2013 par Samuel Sebban |
Les piaillements de Dieudonné étants historiquement l’un de mes sujets favoris, je me devais d’écrire un petit quelque chose sur l’affaire de la quenelle. J’écris depuis depuis 2007 (ici ou là) des articles où je démontre que « antisioniste » est une autre façon de dire « antisémite », je ne traiterai donc pas de ce sujet dans ce billet. Je me contenterai de préciser que, si doute il y avait concernant l’individu Dieudonné, il n’est plus permis aujourd’hui.
La quenelle, geste « anti-système » ?
Peut-être. Sans doute, même, au départ. Il est même possible, voir probable que lorsque Dieudonné s’approprie ce geste (et le dépose à l’INPI, business is business), c’est sans doute le cas. Seulement, les choses changent, et à trop jouer le jeu la provocation dans les médias, on finit par se faire rattraper par la patrouille. Si la quenelle est revendiquée par Dieudonné comme un geste « anti-système », elle a acquis par lui et à travers lui une connotation ignoble.
Dieudonné est antisémite. Ce n’est pas une opinion, mais un état de fait, puisqu’il a été condamné au moins deux fois pour ce motif (2007 et 2012), hors affaires en cours. A partir de là, lorsqu’il parle des Juifs dans ses spectacles, le prétexte de l’humour ne tient plus, sa crédibilité d’artiste étant engagée par ses prises de position publiques. Même en prêtant à Dieudonné une bonne foi qu’il n’a plus depuis bien longtemps, une partie de son public n’est pas en mesure de distinguer ce qui serait à mettre sur le compte de l’humour et les propos antisémites. Je rappelle ses relations douteuses avec Alain Soral, antisémite notoire, ou encore Jean-Marie le Pen, parrain de sa quatrième fille. Mais rassurons-nous, ce n’est que de la « provocation anti-système » !
J’en viens au fait. Si je mélange un geste devenu emblême et un antisémitisme exacerbé, j’obtiens des photos de fans exécutant la quenelle devant Auschwitz, l’école Ozar Hatorah (siège de la tuerie de Mohammed Merah), ou encore le mémorial de la Shoah. Dieudonné lui-même associait ce geste à sa liste « antisioniste » pour les élections européennes de 2009. A force de surfer sur la confusion (anti-système, antisioniste, antisémite…), le public que le pseudo-humoriste a lui-même éduqué s’est approprié la quenelle et en a fait un geste antisémite. Peu importe que Dieudonné y adhère ou non, le phénomène a dépassé son instigateur. Je passe sur la controverse sur les origines du geste qui s’apparenterait à un salut nazi déguisé, je n’en ai même pas besoin pour ma démonstration : la quenelle est un geste antisémite.
Un dernier argument ? Historiquement, la croix gammée s’appelle Svastika, et constitue l’un des plus anciens symboles de l’humanité. Il suffit de se promener en Inde, vous en verrez partout, même si elles sont orientées différemment. Néanmoins, la culture occidentale et les évènements historiques ont donné à ce symbole une connotation associée à la haine et au fascisme. Dans la culture occidentale, ce symbole est celui du nazisme. Dans le meilleur des cas, la quenelle a subi la même trajectoire et doit de la même façon être mise au ban de la société pour les idées nauséabondes qu’elle véhicule désormais.
Interdire Dieudonné, pour quoi faire ?
Dieudonné aura eu ce génie de s’engouffrer dans une brêche contre laquelle la société n’est pas en mesure à lutter. Je ne suis pas favorable à l’interdiction des spectacles pronée par le gouvernement, Manuel Valls en tête, pour plusieurs raisons. La première, c’est que je ne souhaite pas que le personnage devienne un martyr, et c’est le risque à trop le stigmatiser. Il serait beaucoup moins fort si personne n’en parlait, mais la société d’aujourd’hui est ainsi faite, et il en joue parfaitement. Chaque polémique lui apporte son lot de supporters en plus et renforce la conviction de ses fans historique, notamment les « anti-quelque-chose ». Deuxièmement, cela constitue un précédent préoccupant dans un état de droit qui protège la liberté d’expression. Enfin, c’est inutile : avec internet, l’audience de l’humouriste est garantie (20 millions de vues sur Youtube pour ses vidéos) et l’interdiction constituerait un énième coup de publicité.
D’un autre côté, il est compliqué d’imaginer qu’un individu aussi dérangé puisse continuer à s’exprimer librement, l’action de la justice étant lente et pas forcément adaptée. Le seul argument en faveur de l’interdiction, c’est l’impact financier. Le Théâtre de la Main d’Or parisien ne désemplit pas, sans compter le chiffre de la vente des produits dérivés autour de la quenelle. En interdisant le tout, Dieudonné devra se construire un nouveau modèle économique, ce qui pourrait nous donner quelques années de répit. Mais il y a plus simple : il est multi-récidiviste concernant les injures et les incitations à la haine, il ne paie pas ses amendes, etc… Il suffirait simplement d’appliquer les décisions de justice et la graduation progressive des sanctions. La prison ferme n’est une perspective agréable pour personne, surtout si aucun traitement de faveur ne lui est réservé.
Pour m’exprimer encore plus clairement : Dieudonné est un emmerdeur, c’est dans son ADN. Et si le « système » le prenait à son propre jeu et l’emmerdait en retour ? Si la société française est bien construite, ce que je crois, si on ne renonce pas sur l’enseignement de l’histoire et des valeurs républicaines à l’école, Dieudonné n’a aucune chance de gagner au jeu du plus grand emmerdeur. Ce serait une belle « quenelle » pour son instigateur…