Une interview étonnante du leader du Hamas pour Le Figaro
6 oct 2008 par Samuel Sebban |
J’ai pour habitude de n’admirer qu’une seule chose chez les leaders islamistes radicaux : leur aptitude à communiquer. Adeptes du double langage, ils n’hésitent pas à donner une image tout à fait modérée dans la presse occidentale, bien loin de l’image de monstres sanguinaires qui est dépeinte dans lesdits médias. En bref, des gourous du marketing politique.
L’interview de ce jour du leader du Hamas depuis 4 ans, Khaled Mechal, ne déroge pas à la règle. Que nous dit le leader du Hamas : nous sommes des démocrates pacifistes modérés, qui avons des conditions raisonnables en vue de la paix (et on vous le répète depuis 50 ans), nous sommes légitimes puisqu’élus et on n’a fait que se défendre contre les vilains du Fatah, nous sommes prêts à reconnaitre Israël et si ce n’est toujours pas le cas c’est parce que les Israéliens changent tout le temps d’avis et ne sont pas des interlocuteurs fiables, les vilains. Comble du comble, comme quoi vraiment on ne comprend rien nous occidentaux, le Hamas aime les Juifs tout comme le reste du monde arabo-musulman. Honnêtement, quand je lis cette interview, je me dis que le monde n’est qu’un vaste univers de conte de fée dans lequelle Mechal s’apparenterait probablement à la fée clochette.
Revenons sur ce dernier élément concernant son « amour » pour les Juifs et relisons attentivement l’extrait suivant (petit indice en gras) :
Question : Beaucoup d’Israéliens vous accusent de vouloir les jeter à la mer…
Réponse : C’est faux. Nous n’avons aucun problème avec les Juifs, mais seulement avec les gens qui occupent notre terre et nous dénient nos droits, quelle que soit leur religion ou leur race. Historiquement, vous devez vous souvenir que le monde arabo-musulman a toujours accueilli les Juifs, leur a toujours permis de vivre en paix, et même de devenir ministres.
Intéressant : on pose une question sur les Israéliens, et Méchal répond en évoquant les Juifs… Hors, lorsqu’il dit que le Hamas a un problème avec « les gens qui occupent notre terre et nous dénient nos droits », j’ai quand même l’impression qu’il parle des Israéliens. Dès lors, pourquoi insister en précisant qu’il n’a aucun problème avec les Juifs, puisque la question évoque justement les Israéliens, ceux qui occupent leur terre ! Ça ne l’a pas gêné auparavant de parler de l’argent ou des négociateurs israéliens.
Explication : Dans la question, il est fait ouvertement référence au bon vieux message de l’époque de la création de l’État d’Israël qui appelait à « jeter les Juifs à la mer »… Et le bonhomme de tomber dans le panneau en remplaçant Israéliens par Juifs, par habitude sans aucun doute (ce qui témoigne de la sincérité de son amour pour les Juifs). N’oublions pas que la charte du parti de notre fée Clochette du leader islamiste confirme sans cesse cette idylle profonde. Quelques extraits (traduction de JF Legrain, chercheur au CNRS) :
- Notre combat avec les Juifs est une entreprise grande et dangereuse qui requiert tous les efforts sincères et constitue une étape qui, sans nul doute, sera suivie d’autres étapes; c’est une phalange qui, sans nul doute, sera soutenue par d’autres qui, phalanges après phalanges, viendront de cet immense monde arabe et islamique jusqu’à l’écrasement des ennemis et la victoire de Dieu. (Introduction)
- L’Heure ne viendra pas avant que les Musulmans n’aient combattu les Juifs (c’est à dire que les Musulmans ne les aient tués), avant que les Juifs ne se fussent cachés derrière les pierres et les arbres et que les pierres et les arbres eussent dit : ‘Musulman, serviteur de Dieu ! Un Juif se cache derrière moi, viens et tue-le.’ (citation d’un obscur apotre supposé musulman dans l’Article septième)
- Israël, par sa judéité et ses Juifs, constitue un défi pour l’islam et les musulmans (Article vingt-huitième)
Dans mon immense bonté, je ne citerai pas la désinformation sur les faits politiques depuis la création de l’État d’Israël et le prétendu « nazisme juif ». Enfin, tout ça pour dire que pour un pacifiste, le leader du Hamas a adopté une charte pour le moins curieuse. En tout cas, je n’ai rien vu sur les vélléités de paix du Hamas dans la charte du parti. Peut-être que le journaliste aurait pu évoquer la question ? Ah non, pardon, sinon il se serait fait interdire l’accès à la bande de Gaza, pourtant administrée par un régime pacifiste, démocrate et légitime.
Quid des négociations concernant le soldat Shalit retenu en captivité depuis plus de 800 jours, alors ? « Elles sont au point mort, à cause du manque de fiabilité des négociateurs israéliens, qui reviennent sans cesse sur les points acquis. », répond notre petite fée magique. Intéressant, quand on sait par l’intermédiaire de l’Égypte que le nombre de prisonniers que le Hamas exige en échange du soldat augmente à peu près autant que le cours du baril de brut, notamment depuis que le Hezbollah, en échange de terroristes vivants, a consenti à rendre les dépouilles de deux soldats… Ce qui est étonnant, c’est qu’aujourd’hui il peut apparaitre comme normal de suivre le processus suivant :
- Kidnapper un soldat ou une personnalité politique (Ingrid, si tu nous regardes)
- Exiger la libération de centaine de prisonniers plus ou moins activistes, si possible ayant du sang sur les mains, (en général plutôt plus d’ailleurs) en échange de la libération d’une seule personne. Ou alors quelques millions de dollars.
- Se scandaliser que la partie adverse puise hésiter à libérer 400 assassins en puissance en échange d’un soldat, en attendant le suivant.
En voilà un fait divers… Quels vilains, ces Israéliens, vraiment, ce ne sont pas des façons de faire !
Revenons à l’interview et évoquons la prise de contrôle de Gaza par la gentille entité terroriste. Légitime défense, affirme Mechal. Il faut expliquer ça à la centaine de manifestants pacifiques désarmés qui ont été abattus de sang froid par les douces forces armées du Hamas. Et puis légitime, c’est discutable. C’est un peu comme si Jospin en avait eu marre de cohabiter avec Chirac et avait décidé de l’isoler en région parisienne en prenant le contrôle du reste de la France au motif que la gauche a gagné les élections législatives. En fait, ça ne marche pas comme ça : même quand on gagne des législatives, il y a quand même un président qui dirige l’exécutif, et si on veut en changer, il faut participer et gagner ce que l’on appelle des élections présidentielles, M. Mechal… Dans ce cas, on devient légitime !
Enfin, ce qui me rassure, c’est que ce discours sur la légitimité devrait être revu et corrigé lors des prochaines élections en janvier 2009. Rassurons-nous : peu de choses devraient changer au quotidien, mais je suis à peu près certain que ces élections, si elles ont lieu dans des conditions pas trop anormales, devraient oter au Hamas son argument majeur, la légitimité. Mais qu’ils se rassurent : même maintenant, il n’y a plus grand monde pour le penser.